Cette rencontre autour du paysage, de sa patrimonialisation et de son effacement envisage les écologies coloniales et leurs traces, à partir de deux approches, historienne pour l’une et plus sensorielle pour l’autre, avec une conférence performée, jouée, faisant la place au son et à l’image. Des parcs nationaux en Algérie à l’Oued enfoui de Casablanca, on suivra l’élaboration des liens au vivant pris dans des logiques mêlées, économiques, politiques et urbaines, où domination coloniale et maîtrise de la “nature” s’enchevêtrent.
Les parcs nationaux en Algérie dans les années 1920-1930. L’exemple d’une politique coloniale de patrimonialisation (Martine Chalmet)
Entre 1921 et 1931, les autorités françaises ont créé treize parcs nationaux dans la colonie algérienne. Ces classements s’inscrivaient dans le cadre de la politique patrimoniale des monuments naturels lancée en métropole depuis 1906. Il s’agissait de conserver, de mettre en valeur puis de transmettre et de perpétuer un bien, vu comme un héritage commun indispensable à l’ensemble de la collectivité nationale. Toutefois, le cas de l’Algérie française constitue une exception et une originalité dans le mouvement de classement de ces « lieux de mémoire ». Volonté de conservation de la nature et des forêts, des sites et des paysages ? Essor du tourisme et de nouveaux usages sociaux et coloniaux de la nature ? Politique d’appropriation des sols et d’interdiction des usages agros-sylvo-pastoraux ? Politique coloniale de quadrillage de l’espace ? Négation ou reconnaissance des pratiques et des identités locales ? Construction de paysages nouveaux, fruits des relectures patrimoniales et touristiques ? In fine, l’analyse de l’organisation des parcs nationaux, de la sélection des massifs à conserver, de leur « mise en valeur » et de la publicité qui en est faite permettra de poser la question : dans une colonie de peuplement, quelles politiques de patrimonialisation et de colonisation ont été mises en œuvre ?
Martine Chalvet, maître de conférences en histoire contemporaine (AMU/TELEMMe), spécialiste d’histoire de l’environnement, et plus précisément de l’histoire des forêts, travaille sur la protection des espaces forestiers, l’expertise dans le domaine de l’environnement, les perceptions de « la » forêt par les sociétés, les usages sociaux de « la » nature, les risques, notamment les incendies, l’évolution des paysages et les interactions homme/forêt dans l’évolution des écosystèmes en Méditerranée (Provence Algérie). Elle a publié en 2011, réédité en 2022, aux Editions du Seuil, Une histoire de la forêt.
Suivre l’oued et remonter l’histoire coloniale du paysage. L’exemple d’une politique coloniale de patrimonialisation (Conférence performée par Matthieu Duperrex)
L’évolution métropolitaine de Casablanca, capitale économique du Maroc, est ici appréhendée au travers du suivi du lit « invisible » d’un fleuve côtier d’une trentaine de kilomètres, l’oued Bouskoura. Ce cours d’eau a été enterré par les diverses opérations d’urbanisme colonial du vingtième siècle qu’a prolongé le développement urbain accéléré de Casablanca depuis les années 1980. Transect critique à l’intérieur du tissu métropolitain, la géographie de l’oued est aussi l’occasion de placer en perspective l’écologie coloniale dont Casablanca hérite. Ce travail est fondé sur un terrain développé avec le photographe Abderrahmane Doukkane lors d’une résidence croisée entre l’Atelier de l’Observatoire (Casablanca) et la Maison des arts Georges et Claude Pompidou (Cajarc).
Matthieu Duperrex est maître de conférences en sciences humaines à l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille. Artiste et théoricien, directeur artistique du collectif Urbain, trop urbain, ses travaux procèdent d’enquêtes de terrain sur des milieux anthropisés et croisent littérature, sciences-humaines et arts visuels. Son dernier livre s’intitule La rivière et le bulldozer (Paris, Premier Parallèle, 2022).
Modération : Stéphanie Latte Abdallah (CNRS / EHESS-Césor / ANR IMAGIN-E) et Juliette Duclos-Valois ( EHESS-CéSor / ANR IMAGIN-E)